Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP – Le 9 avril 2025
____
Son amendement 55 soumettant la liberté d’installation des médecins libéraux et salariés à autorisation de l’ARS a été adopté le 2 avril 2025 par 155 voix contre 85 et 3 abstentions ! Seuls 243 députés sur 577 (soit à peine 42%), ont pris part à ce vote. Cette mesure coercitive montera rapidement son inefficacité voire son impact délétère sur la démographie des médecins libéraux !
Il y a 35 ans, dans les années 1990, la coordination lyonnaise (COMERLY) avait rencontré les responsables « santé » des principaux partis politiques (de JM DUBERNARD [RPR], et Jacques BARROT [UDF], à Claude PIEGEMENT [PS]…) alors que leurs déclarations à l’époque étaient à l’opposé du discours actuel: tous disaient (syndicats médicaux compris, notamment la CSMF) qu’il y avait TROP DE MÉDECINS EXERÇANT EN LIBÉRAL EN FRANCE ET QUE C’ÉTAIT LA CAUSE DU DÉFICIT DE L’ASSURANCE MALADIE ; l’offre créant, selon eux, la demande ! Seul le chiffre de cet excédent départageait ces piètres « visionnaires »,
20 000 pour certains, 30 000 pour d’autres, et les français devraient se souvenir que les pouvoirs publics avaient alors indemnisé le départ à la retraite anticipée de médecins à partir de 1988, en instaurant le MICA (Mécanisme d’Incitation à la cession anticipée) ! 260 000 F de l’époque (environ 40 000 €) pour cesser l’activité libérale à 56 ans. Voir par exemple l’article de Libération (sous ce lien)
Aujourd’hui l’assurance maladie est toujours en déficit alors qu’il n’y a plus assez de médecins libéraux en activité ce qui montre que l’analyse politique à cette époque était totalement fausse. Comment alors croire aujourd’hui aux préconisations de leurs successeurs ?
Paradoxalement, il n’y a jamais eu autant de médecins inscrits aux tableaux des CDOM qu’en 2025 ! Mais alors où sont-ils ?
Manifestement plus dans le secteur libéral qui est devenu un véritable REPOUSSOIR !
Et c’est surtout le cas des MG (médecins Généralistes) qui préfèrent :
- le remplacement professionnel,
- le salariat si possible à temps choisi à l’hôpital, en SSR (Soins de Suite et de Réadaptation) ou en EHPAD (Établissement d’Hospitalisation pour Personnes Âgées Dépendantes),
- ou les SNP (Soins Non Programmés)…
Les parlementaires auraient été inspirés de se poser la question essentielle: pourquoi les médecins ne s’installent plus et fuient l’exercice en libéral ?
Ayant exercé pendant plus de 40 ans la MG entre 1979 et 2021 j’ai pu constater la lente détérioration prévisible et annoncée: si on observe le choix du type d’exercice au moment de l’installation, le croisement des courbes entre le libéral et le salariat date de la fin des années 1980 (1988 exactement) et n’a cessé de s’accentuer :
Choix du secteur d’exercice lors de l’inscription (source CNOM)
En BLEU (libéral) en ROUGE (salariat)
Les raisons en sont multiples :
1. La paupérisation, mais la rémunération n’est pas le principal motif ! Autrefois un MG avait 2 personnes à son service, une assurant le secrétariat et l’autre l’entretien, aujourd’hui l’agenda est en ligne et il est très difficile de joindre directement le médecin.
2. La charge de travail de 60h en moyenne par semaine pour un MG dans une France qui ronronne à 35 h hebdomadaires !
3. Les contraintes administratives en tous genres comme la télétransmission, l’assurance maladie s’étant déchargée de la gestion de la facturation sur les médecins, mais pas que, la charge administrative notamment prescriptive est devenue insupportable,
4. Les contrôles de l’assurance maladie sur les professionnels de santé, avec ses articles du code de la sécurité sociale : L.315 et L.162-1-15 (instauré par la funeste loi de santé du 13 août 2004) qui donne des pouvoirs exorbitants aux directeurs de CPAM. Il est emblématique de remarquer que cette loi prévoyait déjà en 2004 les sanctions des MG qui ne renseigneraient pas un DMP (Dossier Médical Partagé) qui n’existait pas encore à l’époque !
Les directeurs de CPAM ont pu également à partir de cette date placer sous MSAP (Mise Sous Accord Préalable), encore qualifiée de « délit statistique » un médecin pour ses prescriptions (arrêts de travail, transports sanitaires…) et le sanctionner. Mais également l’article L.133-4 qui permet de récupérer des prestations estimées remboursées de façon indue par l’assurance maladie à des assurés sociaux ! Il s’agit de sommes qui ont profité à des patients et non encaissées par les professionnels de santé. Les structures Juridiques de défense des médecins voient passer des sommes stratosphériques de plusieurs centaines de milliers d’euros et des procédures pouvant durer 5 à 6 ans.
5. Les procédures ordinales: aujourd’hui les patients poursuivent au disciplinaire les médecins pour tout et n’importe quoi sans entrave la procédure étant gratuite, il n’y a même plus besoin d’un timbre fiscal comme par le passé sous la pression des associations !
Les étudiants et notamment les internes en MG observent cette « vraie vie » de MG lors de leurs stages et cela ne peut que les dissuader à l’installation ! A l’inscription ordinale le projet professionnel est demandé aux postulants et l’immense majorité des MG n’envisagent plus de s’installer en libéral.
Certes les parlementaires subissent la pression de leurs électeurs en raison du manque de médecins, et doivent donner l’illusion de répondre à cette attente. Mais de là à prendre des mesures contre productives comme ce projet de loi il y a un pas que les députés ont franchi sans en apprécier les conséquences. Mais ils vont vite réaliser leur erreur.
L’opposition de la profession, du CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins), du ministre chargé de la santé, Yannick NEUDER, et même de Stéphanie RIST auraient du faire réfléchir cette minorité (seuls 27% des députés ont approuvé ce texte : 155/577).
On ne régule pas la pénurie, le trop plein à la rigueur, mais il n’y a plus de zone sur-dotée en France. Paris est devenu un désert médical pour les MG et le 3è arrondissement de Lyon est classé ZAC (Zone d’Action Prioritaire) par l’ARS (Agence Régionale de Santé).
Le nombre de médecins est un critère ne traduisant pas la réalité de la prise en charge des patients et il vaudrait mieux raisonner en ETP (Équivalents Temps Plein) ou en nombre de patients en file active pour un médecin. Ainsi il n’est pas rare de voir un « vieux médecin » remplacé 2 voire 3 jeunes en association.
L’exposé des motifs de cette PPL parle des mesures incitatives mises en place sans réaliser que celles-ci rajoutaient encore des contraintes administratives à celles déjà rejetées par la profession. Certains départements comme la Saône-et-Loire ont misé sur des centres médicaux avec des médecins salariés à temps choisi, ce qui semble satisfaire les jeunes médecins. Mais, financés par les collectivités locales et territoriales, ils alourdissent la fiscalité d’habitants payant pourtant déjà pour leur santé au travers des cotisations sociales, de la CSG et autre CRDS : ils payent donc 2 fois ! Et le coût pour la collectivité du salariat est supérieur à l’exerice libéral, il faut en gros 2,5 médecins salariés pour remplacer un libéral (ceci est confirmé par l’augmentation des subventions accordées à ces centres par l’article 13 de cette proposition de loi : « la subvention TEULADE est relevée de 11,5 % à 13,5 % pour les centres de santé pluridisciplinaires qui emploient au moins un médecin généraliste »).
Limiter la possibilité de remplacer à 4 années (article 3) va encore surcharger les médecins en exercice qui ne trouveront plus de remplaçants sans pour autant faire installer ces jeunes qui se tourneront vers le salariat (il y aurait 10 000 postes vacants dans les hôpitaux.
L’article 6 organise l’extinction progressive du secteur 2 « hors-OPTAM », casus belli avec une médecine spécialisée à plateaux techniques ne pouvant exercer hors secteur 2. On se souvient des actions passées des internes et chefs de clinique prêts aujourd’hui à repartir en contestation et grèves.
L’article 14 veut rétablir l’obligation de permanence des soins, c’est-à-dire demander toujours plus d’heures de travail aux MG libéraux français qui travaillent déjà beaucoup. Et ils sont contraints scandaleusement d’assurer la PDSA (Permanence Des Soins Ambulatoires), mission de service public, sous la protection de leurs assurances privées ! Et pour l’instant seuls les libéraux assument cette PDSA, les médecins salariés des centres de santé (et ceux occupant des postes administratifs comme les médecins des départements, de l’assurance maladie…) vont-ils y participer conformément à l’article R.4127-77 du code de la santé publique: « Il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et règlements qui l’organisent. » Même si ce même code précise (R.6315-4) que «…les médecins partiipent à la permanence des soins sur la base du volontariat…»
Cet article 14 souhaite étendre la PDSA selon l’Article L1110-4-1 du code de la santé publique à d’autres professions en le modifiant de la façon suivante:
Au second alinéa de l’article L. 1110-4-1 du code de la santé publique, après les mots : « d’État », sont insérés les mots : « participent et», et le nouvel Article L.1110-4-1 prendrait la forme suivante:
« Les usagers du système de santé bénéficient de la permanence des soins dans les conditions prévues au présent code.
Les établissements de santé et les autres titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 6122-1 ainsi que les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les infirmiers diplômés d’Etat participent et sont responsables collectivement de la permanence des soins mentionnée aux articles L. 6111-1-3 et L. 6314-1.»
En ce qui concerne l’article 16, l’auto déclaration par les assurés sociaux des arrêts inférieurs à 3 jours dans la limite de 3 fois l’an, l’assurance maladie a pu l’expérimenter au cours de la période Covid avec les résultats négatifs connus. L’assurance maladie déplore un emballement des IJ (Indemnités Journalières) depuis la crise COVID.
Autant de propositions massivement rejetées par la profession et les responsables politiques maîtrisant les problématiques de notre système de santé, et qui vont se montrer rapidement contre productives.
Dans les 2 prochaines années des scrutins politiques importants vont se présenter: les municipales en 2026, la présidentielle en 2027. Une nouvelle dissolution de l’Assemblée est possible dès cette année et les électeurs ne manqueront pas de sanctionner les formations à l’origine de cette agitation stérile voire délétère, simple illusion d’action.
Autres articles
25 avril 2025
Le SMAER est solidaire et participe au mouvement de grève du 28 avril 2025 !
Chères Consœurs, Chers Confrères, L'heure est grave. La proposition de loi n° 966, d'initiative transpartisane et visant à lutter contre les déserts…
14 avril 2025
ÉLECTIONS ORDRE DES MÉDECINS CONSEIL DÉPARTEMENTAL 13
Nous informons nos adhérents que deux membres du SMAER en les personnes de Anne Charlotte Hubert, vice-présidente de notre syndicat et Bruno Mellet,…
11 avril 2025
lettre ouverte contre l’amendement GAROT qui annonce la mort de la médecine libérale
Lettre ouverte aux parlementaires Objet : Refus d’un encadrement autoritaire de l’installation des médecins – Alerte sur les conséquences de la…