Pressés par leur maire de signer moins d’AT, 15 médecins de Poissy se rebiffent
Par Stéphane Long
Dans une lettre ouverte publiée ce lundi, quinze généralistes de Poissy s’indignent de la volonté de leur maire de remettre en cause leur indépendance professionnelle et de faire pression pour réduire le nombre d’arrêts de travail prescrits aux agents municipaux.
Le 4 mars dernier, Karl Olive adressait aux médecins de la commune des Yvelines un courrier dans lequel il les invitait à « faire preuve d’une vigilance accrue »dans ce domaine. Le maire entendait traquer les arrêts de travail de complaisance, selon lui coûteux pour la collectivité et source de désorganisation dans les services. Il est « indispensable de réduire au maximum ces pratiques que je ne saurais accepter plus longtemps », écrit avec autorité Karl Olive, à l’adresse des médecins.
Après la Sécu, les maires ?
[blockquote background= »#f4f4f4″]« La lettre est finement tournée et n’accuse personne directement, note le Dr Christian Lehmann, l’un des quinze signataires, interrogé par « L’humanité » (édition du 11 avril). Mais ce qu’on lit entre les lignes est clair : les médecins généralistes accorderaient trop d’arrêts. C’est un discours insupportable, parce qu’il est totalement faux. »[/blockquote]
Dans leur lettre ouverte, les généralistes dénoncent cette ingérence du maire alors que cela ne relève pas, selon eux, de sa « responsabilité » ni de ses « prérogatives ». « La Sécurité sociale se charge déjà de ”surveiller nos prescriptions” […]. Cela suffit », s’indignent les signataires.
Sidérés par l’initiative de Karl Olive, ils renvoient le maire à ses responsabilités :
[blockquote background= »#f4f4f4″]« Un chef d’entreprise confronté à l’impact des arrêts de travail parmi ses employés, plutôt que d’incriminer les professionnels de santé, pourra utilement se poser la question du management et de la gestion des ressources humaines au sein de cette entreprise. »[/blockquote]
« Médecins aux ordres »
Sur les réseaux sociaux, c’est l’indignation.
[blockquote background= »#f4f4f4″]« Médecins aux ordres. Dans quel système vit ce maire », tweete le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML (Union française pour une médecine libre).[/blockquote]
Mise à jour (18h50) : « Prévenir pour réduire les arrêts » avance le maire
Dans un communiqué diffusé en début de soirée, le maire de Poissy affirme ne pas « s’ingérer dans la mission des 45 médecins généralistes qui ont reçu cette lettre ». Selon lui, il s’agit simplement de sensibiliser les médecins aux conséquences de l’absentéisme et d’inviter le corps médical à orienter les patients vers le médecin de prévention « dès lors qu [‘ils] aur[ont] décelé que les difficultés évoquées par ces agents sont en lien direct avec le travail ! ». Karl Olive demande par ailleurs à la CPAM de mener des contrôles auprès des agents arrêtés. Selon lui, l’absentéisme « représente 20 000 heures par an et un coût de 2 millions d’euros sur le budget de la collectivité, sans oublier les conséquences sur la qualité du service rendu aux administrés ».
RÉPONSE DES MÉDECINS de POISSY
Poissy, le 8 Avril 2016
Monsieur le Maire,
Passée la sidération suite à la réception de votre lettre, nous avons décidé de vous écrire collectivement. Nous sommes conscients de la difficulté de la fonction qui est la vôtre, dans un environnement financièrement contraint par les baisses de dotation de l’Etat. Ceci étant, votre lettre représente une remise en cause inédite et inadmissible de notre indépendance professionnelle. Il n’est pas de votre responsabilité, ni de vos prérogatives, de « sensibiliser davantage » à l’impact des arrêts de travail sur la collectivité, des praticiens qui dans des conditions difficiles, et certains parmi nous depuis plus de trente ans, travaillent au service des Pisciacais.
Quel chef d’entreprise se permettrait d’écrire aux médecins généralistes pour insinuer qu’ « une vigilance accrue » serait de nature à diminuer le poids financier d’arrêts de travail de ses salariés suspectés d’être réalisés par complaisance ?
Vous écrivez qu’il est « communément admis que moins de 5% des agents abusent des arrêts de maladie, que moins de 1% des médecins prescrivent des arrêts de complaisance » ?
Si tel est le cas, ( en l’absence de justification nous ne savons d’où vous tenez ces chiffres), nous ne saisissons pas bien l’intérêt de votre missive, qui ne se conçoit que dans le but d’influer sur les décisions de chacun d’entre nous, au moment de décider de la prescription éventuelle d’un arrêt de travail, décision médicale professionnelle sur laquelle vous ne justifiez d’aucune compétence.
La Sécurité Sociale se charge déjà de «surveiller nos prescriptions », de kinésithérapie, de transports sanitaires, d’arrêts de travail, parfois au-delà du supportable, cherchant à faire rentrer chacun dans une médiane statistique, participant ainsi chaque jour un peu plus à la désertification médicale en cours dans les Yvelines. Cela suffit.
Nous vous rappellerons pour clore cette missive qu’un chef d’entreprise confronté A l’impact des arrêts de travail parmi ses employés, plutôt que d’incriminer les professionnels de santé, pourra utilement se poser la question du management et de la gestion des ressources humaines au sein de cette entreprise.
Veuillez recevoir, monsieur le Maire, l’assurance de notre respect,
Docteur Patricia Allal, Docteur Pierre Billon, Docteur François Cordonnier, Docteur Florence Deruyter-Goyet, Docteur Aline Dufaix, Docteur Pierre Dusein, Docteur Martine Engerrand, Docteur Renée Gasganias-Assayag, Docteur Agnès Kirrmann, Docteur Benoît Klein, Docteur Patricia Lecerf, Docteur Christian Lehmann, Docteur Valérie Néguin, Docteur Jean Tandetnik, Docteur Nora Zaim.
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