Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP – Le 4 février 2025
La relation médecin / patient est une relation de confiance. Cette confiance est même essentielle à une bonne prise en charge médicale sans risquer un effet nocebo. Mais lorsque cette confiance est rompue (par exemple en cas de rendez-vous non honorés non excusés répétitifs, de plainte à l’encontre de son médecin…), celui-ci peut alors souhaiter interrompre la prise en charge.
Cette éventualité est prévue et encadrée par le code de déontologie (Art 47) intégré au code de la santé publique (CSP) : Art. R.4127-47 que je reproduis ci dessous :
« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. »
Les commentaires de cet article rédigés par le CNOM en 2022 viennent éclairer le médecin :
« Par définition, la fonction du médecin est de porter assistance aux personnes malades, avec une double mission : «au service de l’individu et de la santé publique» (article 2).
De caractère individuel, l’acte médical relève aussi de la notion de service public d’ordre collectif. Toutefois, entre ces deux éléments constitutifs de la fonction médicale, il existe une hiérarchie de valeurs :
-
- du côté du patient, ses intérêts personnels passent en règle générale, on l’a vu, avant ceux de la collectivité ;
- du côté du médecin, l’intérêt de la santé publique passe avant le sien propre ; il ne peut y avoir résurgence du droit personnel du médecin qu’après avoir répondu aux exigences de l’ordre public.
Dans le cadre de la médecine considérée ainsi comme un service public, le médecin a pour premier devoir de porter secours aux patients et il ne saurait s’y dérober. Ce n’est qu’une fois remplie cette obligation que le médecin peut reprendre sa liberté d’action individuelle.
L’échange de consentements entre le médecin et son patient constitue juridiquement le contrat de soins. Il suppose une double liberté : pour le patient le libre choix de son médecin, pour ce dernier la possibilité de se dégager de ce contrat.
Le patient peut à tout moment rompre cet échange de consentements sans préavis ni explications. Au contraire, le dégagement du médecin nécessite une triple condition préalable :
-
- il ne doit pas ou plus y avoir d’urgence ;
- il doit informer sans délai le patient de son refus ou de son impossibilité à continuer à le prendre en charge ;
- il doit prendre toutes dispositions pour que soit assurée la continuité des soins, avec notamment transmission de toutes les informations nécessaires à un autre médecin désigné par le patient.
Lorsque le médecin estime devoir rompre unilatéralement le contrat médical, il peut fournir au patient les raisons de sa rupture mais n’est pas obligé de le faire. Celles-ci lui étant strictement personnelles, et pouvant relever d’une clause de conscience (voir note [1]), il n’a pas à les justifier.
À la liberté de choix du patient correspond cette liberté du médecin, bien que conditionnelle. »
([1]) J-M FAROUDJA, « Clause de conscience du médecin », rapport adopté par le Conseil national de l’Ordre des médecins lors de sa session du 16 décembre 2011
Le médecin souhaitant rompre le contrat de soins avec un patient devra donc :
- Être en dehors de toute notion d’urgence,
- Informer son patient de son désir d’arrêter la prise en charge, si possible par un moyen en apportant la preuve (LR+AR) ; je conseille de laisser un délai raisonnable au patient pour rechercher un autre confrère pour prendre le relai (1 mois par exemple),
- Tenir à sa disposition la copie de son dossier médical ou l’adresser par voie dématérialisée sécurisée au nouveau médecin désigné par le patient.
Le médecin n’est pas obligé de donner une raison au patient, mais s’il le fait il devra prendre garde à ce que cette justification ne l’expose pas à un refus discriminatoire au sens de l’Art. L1110-3 du code de la santé publique et du 1er alinéa de l’Art. 225-1 du code pénal ! Et c’est bien cette prudence qu’il faudrait rajouter aux commentaires de l’art 47 du CNOM.
Extrait : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur qualité de lanceur d’alerte… »
Un gynécologue qui a récemment refusé de voir en consultation un patient transgenre et qui a clairement précisé cette position dans un avis Google en réponse à un avis négatif, vient logiquement d’être condamné sur le plan disciplinaire. Et contrairement à l’interprétation de ce jugement par la presse, il n’a pas été condamné pour son refus de consultation, mais en autres (il a aussi enfreint les art. 2, 7 et 32) pour le motif discriminatoire qu’il a affiché en le publiant lui-même sur Google, alors qu’il n’avait aucune obligation légale à se justifier.
Il paraîtrait alors très utile que le CNOM enrichisse les commentaires de l’art 47 (juin 2022) avec les apports de l’Art. L1110-3 du CSP et 225-1 du code pénal qui sont contemporains de cette publication, et mériteraient mention spécifique et explications au niveau des commentaires.
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