Conseil d’État, Section, 19/12/2024, 490952

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000050803826?isSuggest=true

______

Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP  –  le 16 février 2025

Cette jurisprudence du C.E. est issue d’un conflit disciplinaire au niveau de l’Ordre des Vétérinaires, mais l’analyse de la décision peut intéresser toutes les juridictions disciplinaires en ce sens que leurs décisions seraient entachées d’illégalité si la personne concernée par la procédure n’avait pas été informée de « son droit de se taire » !

Les faits tels que rapportés par le CE : 

« Le président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires a porté plainte contre M. B… A… devant la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires. Par une décision du 10 janvier 2020, la chambre régionale de discipline a infligé à M. A… la sanction de la suspension du droit d’exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans. 

Par une ordonnance du 20 novembre 2020, le président de la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires a rejeté l’appel formé par M. A… contre cette décision. 

Par une décision n° 448999 du 22 juillet 2022, le Conseil d’État, statuant au contentieux a annulé cette ordonnance et renvoyé l’affaire devant la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires. 

Par une décision du 8 novembre 2023, la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires a annulé la décision du 10 janvier 2020 de la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire et infligé à M. A… la sanction de la suspension du droit d’exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans. 

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 16 janvier, 6 mars, 27 juin et 29 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M. A… demande au Conseil d’État : 

1°) d’annuler cette décision en tant qu’elle lui inflige une sanction ; 

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ; 

3°) de mettre à la charge du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative…

Considérant ce qui suit : 

    1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur la plainte du président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires, la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire de l’ordre des vétérinaires, par une décision du 10 janvier 2020, a infligé à M. A…, vétérinaire, la sanction de la suspension du droit d’exercer sa profession sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans. Par une décision du 8 novembre 2023, la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires – dont une première décision avait été annulée par le Conseil d’État, statuant au contentieux, qui lui avait renvoyé le jugement de l’affaire au fond – a, sur appel de M. A…, annulé la décision de première instance et infligé à ce professionnel la même sanction qu’en première instance. M. A… demande au Conseil d’État l’annulation de cette décision en tant qu’elle lui inflige cette sanction. 

Sur le pourvoi : 

    1. En premier lieu, aux termes de l’article 9 de la Déclaration de 1789 :  » Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
    2. Ces exigences impliquent qu’une personne faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’elle soit préalablement informée du droit qu’elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu’elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l’ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu’elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l’instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information…
    3. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que le vétérinaire doit, dans le cadre des procédures engagées en vertu des dispositions citées aux points 5 et 6, être informé du droit qu’il a de se taire dans les conditions précisées au point 3. En revanche, une telle information n’a pas à lui être dispensée à l’occasion de la conciliation prévue par les dispositions, citées au point 5, du II de l’article R. 242-95 du code rural et de la pêche maritime, eu égard à l’objet d’une telle conciliation et à ce que les propos qui y sont tenus ne sauraient être ultérieurement utilisés dans la procédure disciplinaire.»  

Analyse :

Il ressort de ce point 7 que le professionnel doit impérativement être informé du « droit de se taire » au cours des procédures disciplinaires que ce soit en première instance (CDPI) ou en appel, mais qu’en revanche, cette information n’a pas à lui être dispensée lors de la conciliation préalable à une éventuelle procédure disciplinaire. S’il ne veut pas s’y exprimer, il a loisir à ne pas s’y présenter, ce qui le priverait néanmoins de l’opportunité d’un arrêt de la procédure en cas de conciliation (sauf si le conseil décidait de la reprendre à sa charge) et enverrai directement la plainte à la CDPI. 

La contre partie en est la sanctuarisation de la conciliation  au cours de laquelle les propos échangés, notamment par la partie poursuivie devant la CDPI, ne pourront pas être utilisés devant celle-ci.

Pour la rédaction du PV, l’Ordre conseille de se limiter aux mentions « conciliation, non conciliation ou carence ». On est alors en droit de s’interroger sur les conciliations partielles l’art. R4123-20 précisant : 

« … Un procès-verbal de conciliation totale ou partielle ou un procès-verbal de non-conciliation est établi. Ce document fait apparaître les points de désaccord qui subsistent lorsque la conciliation n’est que partielle. Il est signé par les parties ou leurs représentants et par le ou les conciliateurs.

Un exemplaire original du procès-verbal est remis ou adressé à chacune des parties et transmis au président du conseil départemental.

En cas de non-conciliation ou de conciliation partielle, le procès-verbal est joint à la plainte transmise à la juridiction disciplinaire …. » 

Ce cloisonnement de la conciliation opposable aux conciliateurs en les excluant des débats du conseil pour déterminer sa propre position, ne  concerne en revanche pas les autres personnes assistants les 2 parties  comme les avocats qui pourtant rédigeront les mémoires et surtout seront présents aux audiences !

L’information du conseil pour sa position face à une plainte serait donnée par un rapporteur faisant un résumé des documents reçus et introduisant par là même sa subjectivité:

  • Le CDOM doit-il s’associer à une plainte non conciliée ?
  • Le CDOM doit-il prendre à sa charge la plainte bien que conciliée, mais qui laisserait supposer une faute déontologique patente ?

Les conciliateurs seraient à mon sens les plus à même d’informer le conseil sur le différend en faisant abstraction des infos orales de la conciliation (comme les avoats), et la décision du CE a bien exclu cette étape précontentieuse de la plainte ! Au conseil et à ses juristes de rédiger avec attention les attendus pour la CDPI sans reprendre des propos tenus lors de la conciliation